Saint-Nazaire : militantes catholiques-sociales des Trente-Glorieuses

On minore bien souvent le rôle important joué par les militantes catholiques-sociales dans les quartiers populaires. Elles ont pourtant marqué de leurs empreintes l’histoire ouvrière et populaire, mais aussi celle du féminisme.

Les associations catholiques-sociales émergent dans les années 1930 afin de permettre aux jeunes hommes et femmes impliquées dans les structures jocistes de poursuivre une activité militante dans les quartiers ouvriers… et de contrer l’influence communiste auprès des femmes. Elles se développent surtout après 1945, durant les « Trente Glorieuses »… qui ne l’étaient pas pour tout le monde.

A l’origine structures mixtes, elles deviennent quasi exclusivement féminines, les hommes privilégiant l’engagement syndical, en général CFTC (puis CFDT). Cependant, il faut attendre en 1973 pour qu’une femme, Isabelle Brisset*, accède à la présidence de l’Association Populaire Familiale nazairienne. L’association regroupe des « femmes au foyer » des quartiers populaires, autour du quotidien (mise en place de « services » : vestiaires, achats groupés et surtout prêt de petites machines à laver portatives), et de revendications liées à la famille et au rôle des femmes en son sein (logement, prestations familiales, santé, éducation). Au milieu des années 1960, l’APF nazairienne compte 500 familles adhérentes. Ce chiffre diminue ensuite, le développement de la société de consommation rendant son offre de « services » moins attractive car les foyers s’équipent en appareils ménagers.

Militer modifie leur vie : circuler (hors trajets école et courses), se réunir, réfléchir ensemble, agir par soi-même cassent l’enfermement du foyer. Sortir c’est à la fois sortir de soi et être soi. Cette affirmation les amènera d’ailleurs à descendre plus d’une fois dans la rue, notamment lors des grèves de 1967. Cette évolution poussera l’APF à devenir en 1976 la Confédération Syndicale du Cadre de Vie**.

Evolution qui les pousse également à interroger la place des femmes dans la famille et la société, à se prononcer pour la contraception et l’IVG, et même à mener des actions communes avec le groupe féministe local, le tout non sans remous internes ! Jongler entre tenue du foyer et militantisme dresse sur leur route bien des obstacles (horaires de réunion inadaptés, poids des tâches domestiques, réticences masculines). Mais militer signifie pour elles exister, dépassement de soi et des rôles sexués, sortir des « silences de l’histoire »***.

Contribution de Dominique Loiseau

 

Source : Dominique Loiseau, Femmes et militantismes, L’Harmattan, 1996 ; Dominique Loiseau, « A Saint-Nazaire, petite chronique d’un féminisme ordinaire, in Place publique n°74 (printemps 2020).

Iconographie : Isabelle Brisset prend la parole le 21 mars 1967  à l’occasion d’une action spécifiquement féminine de soutien aux mensuels en lutte (Coll. Groupe Histoire CFDT 44) ; Presse-Océan du 22 mars 1967 : le cortège des femmes de la manifestation du 21 mars appelée par les syndicats (CGT, CFDT, FO, CGC) et associations familiales (UFF et APF).

Notes : * Isabelle Brisset travaille très ponctuellement en tant qu’institutrice, mais choisit d’être avant tout une femme au foyer militante ; ** Actuellement Consommation Logement cadre de Vie ; *** Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l’histoire, Flammarion, 1998.

2 commentaires sur “Saint-Nazaire : militantes catholiques-sociales des Trente-Glorieuses

  1. BONNET Roger dit :

    Intéressante chronique sur l’engagement des femmes à cette époque là. Cette association familiale a dû être créée à la Libération à partir du MLP Mouvement de Libération du Peuple tandis que les ASF (associations syndicales des familles) viendrait du MLO Mouvement de Libération Ouvrière. Mais n’étant pas historien, j’ai droit à l’erreur ! L’ASF était à Nantes représentée par Mado AOUSTIN qui fut Présidente du comité de soutien à l’élection de Johanna ROLLAND au scrutin de 2014 (à vérifier quand même).

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  2. Centre d'histoire du travail dit :

    Tout d’abord, merci beaucoup pour la lecture de la notice, et pour le commentaire.
    Ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans la genèse des diverses structures, et c’est en fait l’inverse de ce que vous indiquez : les APF viennent du MLO (et non du MLP) et les ASF du MLP (et non du MLO).

    En détaillant, voilà les origines de chaque structure :

    Au niveau national, d’anciennes militantes de la JOCF créent en 1933 la LOCF (ligue ouvrière chrétienne féminine), suivie en 1935 par la structure masculine (LOC) ; à Saint-Nazaire, les deux sec créent en même temps, en 1937.

    En 1941, le MPF (mouvement populaire des familles) prend le relais de la LOC/LOCF, pour établir « une synthèse ouvrière et chrétienne », mais dès 1949, cesse à sa demande d’être mouvement d’action catholique (l’ACO sera créée deux ans plus tard).

    En 1945, le MPF crée les AFO (associations familiales ouvrières)

    En 1951, scission nationale du MPF, en deux mouvements le MLP (mouvement de libération du peuple) et le MLO (mouvement de libération ouvrière) ; en schématisant, on peut dire qu’à ce moment, le MLP est plus politique, et le MLO plus éducation populaire.

    A chaque mouvement est lié des associations de base, de quartier :
    – le MLP : les AFO, qui deviendront la CSF (confédération syndicale des familles)
    – le MLO : les APF, qui deviendront la CSCV (confédération syndicale du cadre de vie), aujourd’hui CLCV

    Voilà, en espérant moi aussi ne pas me tromper !

    Le GRMF (groupe pour la recherche sur les mouvements familiaux), composé de chercheurs et de militants, a publié une grande douzaine de « Cahiers » très intéressants, sur l’histoire de ces mouvements.

    Bien cordialement

    dominique loiseau

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